Les Arbres Maîtres, l’Arbre-Mère


forêt, Golb, Potager/Jardin forêt/Verger / lundi, mai 31st, 2021

Le Parédé est avant tout un royaume végétal. Sur Onze de ses quinze hectares, la forêt est reine. Pourtant, la vie de la forêt n’a, jusque là, pas été de tout repos. Il y a à peine un siècle, le domaine du Cerf Blanc était nu, éventré sous les coups des chasseurs d’ardoise. Certaines galeries doivent toujours exister, mais le temps n’est pas encore venu pour que le royaume végétal nous les ouvrent.

Un long travail d’apprivoisement a été fait et continue d’être fait continuellement, tant les blessures semblent profondes. Certains endroits tolèrent mal la présence humaine, comme la zone du Cercle des Fées qui était le centre névralgique de la carrière d’Ardoise. 

D’un autre côté, les arbres plantés par la main d’hommes qui étaient, il y a un siècle, les dépositaires de soins jaloux et d’attentions quotidiennes, parce que porteurs de clés pour la survie – fruits, bois, croyances populaires liées à la protection- ont souffert d’un abandon quasi total et ont été trouvés pour la plupart malades ou en piteux état.

A cela, ajoutons qu’en décembre 2019, jour #q5o, une tempête à permis à plus d’un tiers de ces grands blessés et d’arbres de première génération – ceux qui sont venus spontanément après la fermeture de l’ardoisière- de mourir, heureux de pouvoir emmener avec eux les mauvais souvenirs de ce siècle passé et de laisser la place à de futurs vénérables.

Seuls les plus robustes, les plus puissants sont restés pour nous accompagner dans ce grand chantier de reconstruction. Ils inspirent un grand respect, d’autant plus quand on sait ce qu’ils ont traversé. Le travail ici est immense et demandera plusieurs vies pour être mené à bien. Espérons que vous qui me lisez loin dans le temps, vous n’oubliez pas la brûlure des serrements de coeur quand on se retrouve face à un de ces géants abandonné, bafoué, craché.

Sur les quinze hectares, on rencontre plusieurs forêts. Celle du nord qui couvre une partie du Cygne encerclant Tonou d’Amma, le potager. Dans cette partie, vous pourrez rencontrer, en plus de la Garde du Nord et du Saule Tortueux au centre de Tonou d’Amma, les arbres amoureux : Auguste et Céleste. C’est une petite zone de forêt mêlant anciens vénérables qui murmurent la grande histoire de ce grenier de Bagnères de Bigorre et jeunes arbrisseaux, au sol chargé d’humus, lieu de prédilection des écureuils. 

A l’ouest, à l’entrée du territoire du Cerf Blanc, vous trouverez la forêt de buis. Un petit bois à la vibration particulière, emprunt d’humidité, de douceur et de paix qui a été sacrément malmené par le passage de la pyrale du buis deux années de suite. 

Sur la face est du Cygne, les vieux châtaigniers abandonnés et les hêtres accueillent les oiseaux et le cimetière du Parédé. C’est un petit bois chaleureux chargé d’un épais tapis de feuilles. 

Au Sud, au Coeur du Cerf Blanc, le plus grand territoire de forêt ; un bout de onze hectares d’une forêt encore jeune. Emmêlée de broussailles, de ronces, d’arbres effondrés. Seuls les plus courageux et aventuriers arriveront à se faire accepter par cette jeune forêt sauvage et brutale qui protège les sources, les chouettes, les cerfs, les renards et les biches. On y trouve l’Arbre Mère, l’Arbre Sud et le Grand Hêtre de la Forge. D’autres spécimen mériteraient d’être cités. Je pense aux arbres foudroyés et, en particulier, à celui qui porte en son ventre calciné, mais toujours debout, le petit bouddha blanc.

Les autres arbres remarquables sont situés au coeur du Cygne, près des habitations. Il s’agit de Mamé Glycine, Papé Catalpa et frère Magnolia aux abords d’Isabelle ; l’Olivier de la Paix au centre de l’île Verger  -le point haut du Cygne ; un buis de 390 ans appelé le Sage parmi les Sages et la Nourrice, longiligne bouleau qui chante les jours de grand vent aux portes de Madeleine.

l'arbre mère MARI
L’arbre mère du Parédé, dessin Claire et Alexandre

L’Arbre- Mère, Mari, châtaignier, née le 12 avril 1822, 8j8h

L’Arbre-Mère du domaine du Cerf Blanc et du Cygne est un châtaignier planté de main d’homme. Au XVIIe, XVIIIe et XiXe siècle, le quartier Sarraméa – « La colline du milieu »- qui s’appelait alors Las Paloumeres (le lieu des palombes) , abritait plusieurs métairies, dont celle au Verger, propriété du Sieur Pierra du Pont, aujourd’hui ruines sur les terres du Cerf Blanc. Mari est en contre bas de ces deux bâtisses et a été planté à l’époque par un des couples qui a habité cette métairie. Nous étions en 1822 et c’est, à en croire les archives, une période faste pour ces terres. Le Châtaignier alors était un arbre majeur dans l’alimentation des hommes et des animaux. D’ailleurs le quartier abritait une dizaine de châtaigneraies. Les châtaignes servaient aux animaux, aux hommes et même aux nobles de la ville sous forme de farine qu’ils faisaient moudre dans les moulins qui bordaient la rivière Sarraméa, alors appelée « la Lumière » : Le Ruisseau de Luz.

Mari est née au coeur de cette époque faste. Elle a grandi entourée d’attentions et de soins multiples. La vie de la métairie avec ses rires et ses éclats rythme ses jours et elle peut voir, avec tous ses soeurs et frères, les paysans et le riches notables aller sur le chemin qui passent à ses pieds : le chemin du pout (puit en gascon local). Elle est aux portes du plus grand verger du quartier, un bien très prisé et jalousé qui faisait les beaux jours des riches propriétaires Bagnérais qui en garnissaient leurs tables. Vers la fin du siècle, alors qu’elle approche de ses 70 ans, dans la fleur de l’âge, quelque chose fait que la plupart des habitants du quartier Sarraméa, partent. Abandonnée là avec ses pairs, elle doit sa survie à sa stature déjà imposante certes, mais avant tout au fait que le sol sous ses pieds n’est pas aussi riche que celui du cercle de fées. Un maître de carrière rachète toutes ces parcelles et entame l’excavation de l’ardoise et sa mise en forme. Les carriers s’approchent d’elle d’année en année, mais s’arrêtent à une dizaine de mètres de son esplanade. Ils emportent au passage l’arbre-mère et tous les arbres qui l’entourent : châtaigniers qui représentent la population d’arbres la plus importante du quartier, pommiers, poiriers, pruniers, tous sont liquidés pour la collecte de l’or noir qui dort à leurs pieds. Elle assiste, choquée, impuissante, à l’abattage de tous ses frères et soeurs. Et vient le tour de son aïeule, le grand châtaignier mère des arbres de mère en fille depuis le milieu du XIVe siècle et qui a juste le temps, avant se s’effondrer de toute sa hauteur, de lui transmettre savoir, sagesse et rôle. Nous sommes le 13 mars 1914, jour 1bh. Elle, jeunette, approche de ces 92 ans et doit prendre une charge qu’elle ne pensait jamais devoir assumer. Elle regarde hagarde les quelques ouvriers qui travaillent à ses pieds quitter sa zone définitivement. L’ardoise ici est trop friable « le filon n’est pas porteur ». La voilà devenue arbre-mère ; arbre-mère d’une forêt fantôme, d’une forêt dévastée. Aucun ancien de son entourage n’a survécu au passage des carriers, même plus de racines -ces livres mémoriels- sur lesquelles compter. Rien. Reine d’un territoire désolé. Sans humains, sans oiseaux, sans animaux. Les fronts de taille et les banquettes ont remplacé les chemins, les châtaigneraies, le verger et les terres agricoles qui faisaient son paysage.

On peut imaginer sans peine pourquoi la forêt jeune et sauvage qui a repris vie après l’arrêt de l’exploitation est plutôt hostile à l’homme, tout en en connaissant bien les us et les coutumes. Heureusement, il ne nous fallut pas beaucoup de temps pour que Mari, mères des arbres du Parédé, nous accepte et, indécrottable généreuse, nous prodigue informations et conseils sur la gestion de son territoire. Quoi qu’elle en dise, elle est fille d’homme et les aime plus que jamais nous ne pourrons le comprendre.

C’est elle qui nous indique quel arbre doit aller où et ce que nous devons entreprendre dans la forêt. Une de ses dernières demandes est de repeupler la forêt avec des abeilles, mais jusqu’alors, nous n’avons pas réussi à mettre son projet à exécution. Un autre rêve fou soufflé par elle serait de faire revenir dans son voisinage un vaste verger de forêt. Mais les cerfs, chevreuils, sangliers ne nous laissent, pour l’instant, pas mener à bien ce projet.

Assez silencieuse et discrète, il faudra vous asseoir à ses pieds et écouter la forêt du centre de votre coeur pour espérer l’entendre et la percevoir. Elle ne cherchera pas à vous appeler ou à vous montrer comme elle est grande et puissante. Elle observe, sourire aux lèvres, vos faits et gestes que vous soyez devant ses frondaisons ou sur la face nord du bois du Cygne à plus d’un kilomètre de là. Elle veille. Mais elle n’est pas bégueule. Elle saura vous accueillir dans son giron et vous emplir de calme, de bien être, de gratitude et de paix. Certainement, pour celui qui a un chagrin ou une maladie, son contact prolongé pourra aider et participer à guérir. Et même à des milliers de kilomètres de là, vous pouvez toujours vous adressez à elle. Par la toile de communication du mycelium ou par les cocktails chimiques des frondaisons portés par les vents, elle saura toujours vous entendre et vous répondre. Si vous souhaitez associer votre lieu au Parédé, elle deviendra la mère de vos arbres aussi ou peut-être la grand-mère, l’aïeule, si dans vos bois se trouve un vénérable arbre-mère.

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