Réunion avec les enfants du Parédé


Constitution, Golb / jeudi, novembre 29th, 2018

Enfants, je vous écoute et je me questionne. Pourquoi ?

Pourquoi faire ce choix de jouer à ce qu’il y a de plus dégradant dans ce que le concept contemporain de l’enfance porte. Habits de marque ? Se fondre dans la masse ? Gaspiller son temps devant des écrans ? Manger tout ce qui détruit la santé, la beauté, le monde… Faire comme si vous n’aviez pas de quoi comprendre les enjeux ? Est-il possible qu’il faille attendre un certain temps pour commencer à penser ou la pensée est-elle fondatrice de l’être ? Combien de temps faut-il alors ? Quinze ans ? Vingt ? Trente ? Quarante… Je connais des gens de 80 ans qui sont toujours aux prises avec cette flemme de la pensée, avec le refus de prendre leurs responsabilités et, inversement, des enfants de quatre ans qui sont bien plus avancés sur leur chemin que la plupart des êtres de l’espèce humaine. Prenez garde. À chaque minute 11 enfants de moins de 5 ans meurent de malnutrition, du manque d’eau… Chaque minute ! Et qu’on le veuille ou non, nous aurons à répondre, à l’heure de notre mort, de cela. Pas qu’un dieu vengeur nous attendent de l’autre côté de la porte, non ! Parce que nous même, au fond, savons tout cela et que, quand l’heure n’est plus au jeu, revient alors la terrible réalité et que nul être ne peut y échapper. Qu’il soit milliardaire ou SDF.

À chaque fois que vous pointez l’autre, que vous gâchez votre voix à juger l’autre, à chaque fois que vous acceptez quelque chose sans l’avoir éprouvé, sans avoir fait le chemin nécessaire pour écrire sa vérité, à chaque fois que vous mettez les mêmes chaussures que votre voisin, à chaque fois que vous préférez faire taire votre chair en la chargeant de poisons au lieu d’être votre propre parent, vous laissez ces morts mourir pour rien.

Nous n’avons pas la responsabilité de leur mort. Nous avons la responsabilité de notre vie. Chacun, chacune, nous sommes un agencement unique qui ne reviendra jamais (ce qui n’empêche pas de croire en la métempsycose) et qui est le seul à pouvoir accomplir le chemin singulier de son être. Si Galilée ou Léonard de Vinci, si Victor Hugo n’avaient pas pris leur responsabilité d’être ce qu’ils étaient et oser aller là où la pensée unique ne va pas, que serait le monde ?

Je vous entends parler de célébrités, d’idoles et je vois comme vous aimeriez vous aussi avoir cette place en haut de la pyramide. De l’argent, des fans, etc. Alors vous abîmez vos oreilles avec ces musiques qui ne portent pas de vie, vous continuez à vous anesthésiez. Vous saccagez la beauté au goût consensuel du moment. Et plus vous laissez faire, et plus vous refusez de prendre vos responsabilités, plus vous devenez dépendants du shoot répété du sytème mis en place, allant jusqu’à parfois en consommer ses drogues, de l’alcool.

Célébrité vient de célébrer comme quand on faisait des rites religieux. Ce sont les idoles (idole étymologiquement veut dire fantôme) dressées par un monde sclérosé de ne pas oser la folie, la différence, la singularité. Ce n’est pas le facho qui pose problème, mais la façon unanime dont on se doit de penser ce qui est mal ou bien. Heureusement que nous avons des points de vue différents. Nous ne partageons pas les mêmes yeux, si ? Nous ne partageons pas les mêmes mains, si ? Alors comment celui qui pense différemment de soi pourrait se tromper plus que moi ? Vu que nous ne pouvons que penser par soi, par nos filtres, nous nous trompons autant que n’importe qui ! Et c’est heureux !

Ce qui est terrible, c’est de vous voir perdre votre temps, au décompte de tous ces morts, vous qui êtes vivants et ne faites rien pour faire vivre, exister votre légende.

Ce qui est terrible, c’est que tous les sacrifiés, au lieu de vous porter, de vous inciter au courage, à la créativité, à la singularité, à la joie, vous submergent. A tel point que vous ne pouvez même plus les regarder mourir. Vous obligeant à plonger toujours plus loin sous le sable, sous le mensonge, sous les faux semblants.

Est-ce qu’au moment de la mort, quand vous serez seuls face à vous-même, vos fards tiendront ?! Si oui, pour qui ? Est-ce qu’il y aura encore des responsables par procuration… Papa, maman, le méchant patron, le docteur… Bien sûr que non ! Car vous vous connaissez ! Vous savez bien le mensonge auquel vous prêtez allégeance. Au fond de vous, si vous êtes honnêtes, vous ne pouvez le nier.

D’ailleurs, nous ne pourrons jamais rien faire d’autre que de tenter de percer le voile, afin de nous comprendre nous-même, seul initié potentiel de nous-même. Nous ne pourrons jamais nous défaire de ce filtre. Seul éclat de la vérité palpable, parce que notre. Jamais universel, toujours parcellaire. Merveilleusement parcellaire, parce qu’unique et essentiel.

Arrêtez de fuir derrière les autres, les difficultés de la vie, votre histoire de famille, vos problèmes quels qu’ils soient… VOUS ÊTES VIVANTS ! Tout cela, tout ce bavardage est juste là tant que vous ne prenez pas la responsabilité d’écrire votre vie. C’est un très bon témoin de votre manque de courage, de volonté, de force. Tant que ces bavardages subsistent, c’est juste que vous essayez tant bien que mal de justifier votre immobilisme. Mais VOUS ÊTES VIVANTS ! Votre coeur bat, vos poumons inspirent et expirent. Alors qu’attendez-vous. Eux sont morts ! Pas blessés, pas dans la merde, pas sans Nike aux pieds, pas sans dernier smartphone, pas ayant un peu faim ou soif. Pas avec un papa pas assez comme çi et une maman un peu trop comme ça. Ils sont Morts ! Ils sont morts ! Morts. Dans cette sphère, morts ! Eux ne peuvent plus écrire que dalle ! Mais vous….

Silence. Surtout ne vous justifiez pas ! Agissez. Chaque minute 11 enfants de moins de cinq ans meurent de malnutrition, de soif dans le monde… 11 enfants de moins de cinq ans.

Qu’au moins ces morts « servent » à quelque chose. Qu’ils vous motivent à reprendre en main votre histoire. Quelle qu’elle soit ! Je ne demande pas à ce que vous croyiez les mêmes choses que moi. Je m’en fous. Devenez tortionnaires si vous voulez ! Pute de luxe ou qu’importe. Mais allez sur votre voie. Votre voie unique et merveilleuse.

Rien n’est connu. C’est la première fois que vous vivez dans ce corps là, avec cette histoire là, à ce moment là, dans cet endroit ci. Alors qu’en faites-vous ? Que laisserez vous comme héritage à notre mère, la terre ? Comment allez-vous habiter tout cela ? Ca ne dépend que de vous et chaque minute…

Ce n’est pas Papa, Maman, Dieu, le Docteur, le gouvernement, le président, un groupe, votre amoureux, votre amoureuse, votre psychanalyste qui pourra le faire pour vous. Personne d’autre que vous n’est aux commandes. Personne d’autre. Face à ce que vous écrivez, écrirez, vous êtes seuls.

Et c’est la plus grande joie ! Et c’est le plus grand cadeau. Car il n’existe d’autre coupable que vous. Et s’il n’existe pas d’autre coupable, alors vous avez tout ce qu’il faut pour réparer, changer, transformer, pardonner, avancer, guérir, en un mot : aimer.

Et chaque minute…

Le temps pris pour écrire ce texte a été de 825 morts de moins de cinq ans… L’âge de mon fils.

«  Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
un vêtement qui vous va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d’une vie tumultueuse aux artères
et bien collée au squelette
d’un pas alerte, sportif, lourdaud
rieurs renfrognés, vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout le monde
tellement beaux d’être quelconques
diversement
avec cette vie qui vous empêche
de sentir votre buste qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le cœur
la rotule qui roule doucement au genou
comment vous pardonner d’être vivants…

Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
Vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d’argent
comment comment
vous pardonner d’être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps
Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d’être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie. »

*
Texte de Charlotte Delbo, survivante du camp d’Auschwitz tiré de : Une Connaissance inutile

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