Demain, nous attaquons notre premier chantier « Kerterre ». Ce n’est pas une petite chose. Pour mille et une raisons dont vous pourrez en comprendre quelques unes en allant sur la page de Evelyne Adam, la créatrice des Kerterres.
Nous sortons de quinze jours denses de préparation et de plus d’un mois de recherche pour établir l’orientation et l’emplacement exact de ce premier temple à toit couvert sur nos terres.
Il a fallu donc s’assurer que nous aurions tout sur place pour le démarrage du chantier : 200 kilos d’Ocre Rouge de Roussillon cherché directement à l’usine d’Apt. Une tonne cinq de Chaux locale. Quelques remorques de pierres de fondations récupérées sur les berges de Sarraméa avec Skandre, Kevin et Rose. Quatre tonnes de gravier pour le drain et une tonne cinq de sable arrachés à notre montagne et mis en place avec Bertrand, Auguste, Rose et Kevin. Fondations et drain creusés par François qui a permis de rajouter quatre tonnes de terre pour la terrasse de Kevin. Un peu d’argile pour la cheminée. Quatre Rounds de chanvre de Gimont (Gers) récoltés et gardés précieusement par Michel Cassagne (magnifique agriculteur en bio) qui nous attendait depuis près de dix ans. Porte en bois dessinée par Skandre et fabriquée et forgée par Kevin avec des éléments récupérés sur nos 15 hectares. Eau de Sarah venant sur place par tuyau interposé. Tente, tonte et remise en place des cercles de pierre avec Skandre pour pouvoir accueillir la dame « Oie Terre », le matériel et tous ses participants.
Mais je voulais surtout vous partager la genèse de cette « Oie-Terre » qui comme le faisait remarquer Aïdée peut s’entendre « Water », soit eau en anglais, ce qui, ici, résonne vraiment fortement, tant l’eau est l’hypocentre de notre choix de venir nous installer ici.
En décembre 2015, la première fois que nous sommes venus ici -Claire, les enfants et moi- pour visiter, le second soir, quand tout le monde était couché, je me suis posé en méditation. Pour ressentir. Peut-être voir, entendre.
Claire semblait déjà très emballée, mais je sentais qu’il fallait avant tout demander au lieu ce qu’il attendait de nous. S’il nous attendait… et si oui, pourquoi nous avait-il appelé ?
Après un long moment centré sur la respiration, quand le corps et l’être enfin se dissolvent, j’ai appelé le lieu et ai tenté de garder ouvert les canaux. Tous.
La montagne. Le ciel est chargé de lourds nuages. La pluie tombe. Sensation oppressante. En acceptant d’entrer dans ce tableau, je vois la pluie virer au rouge. Elle forme des torrents où se mêle la boue rouge et la pluie rouge. Le rouge du sang. De sang, sa texture. De sang, sa couleur. De sang, son odeur. Des flots et des flots de sang qui suivent les à pic de la pente abrupte. En bas, un dôme tout en rondeurs qui monte de la terre, blanc comme le blanc des Iles de Grèce. Comme un buvard, le dôme absorbe le sang qui dévale sur le sol. Les murs s’imbibent, deviennent rouges, rouges, rouges. Au sommet, quand tout le sang a été avalé par les murs de chaux, un oiseau blanc s’élève et s’envole. Le calme. La paix. La pluie s’est arrêtée. On entend le silence assourdissant après l’orage. Fin.
Je sors de ma méditation. Qu’est-ce à dire ? Qui est mort ici ? Est-ce quelque chose qui n’a rien à voir ? Une hallucination ? Un rêve ?
Le lendemain, nous apprenons qu’avant les Anglais qui avaient fait du Parédé un gîte, un paysan avait vécu quarante ans ici et avait fait pendant ces quarante années du foie gras d’oie… L’oiseau, le sang. Cela prenait sens.
Quelques jours après cela -il n’y a pas de hasard- quand je découvre les « kerterres », je sais que nous devons apprendre à les construire et que nous devrons, avant de les construire pour notre usage, en dédier une, une rouge, rouge sang, pour ces oies. Pour tous ces animaux qui ont subi ici et ailleurs ce même sort. Pour leur demander pardon. Pardon pour notre ignorance, pardon pour notre peur, pardon pour notre manque d’écoute et de regard. Pardon pour la dégénérescence qui nous a fait oublier que nous sommes tous soeurs et frères. Pardon à la vie. Et merci. Merci à leur sang, à ces foies qui ont permis à des paysans, des humains de faire des lieux comme le Parédé.
Ici, ce sont elles, les oies qui de leur foie ont financé la mise en place du kilomètre de tuyauterie qui permet à la source Sarah de couler à flot dans nos mains chaque fois que nous le lui demandons. Sans cela, jamais Claire n’aurait entendu l’appel de ce lieu. Sans cela, nous ne serions pas là…
Ce sont elles encore avec évidemment le travail acharné, incroyable de l’homme qui -en même temps qu’immense bâtisseur au grand coeur, amoureux consciencieux de sa terre et de la nature, était, par la dérive de notre culture traditionaliste dégénérée, devenu ce bourreau esclavagiste- ont permis l’entretien des 15 hectares, les toits, les charpentes, les constructions de pierre.
Qu’elles soient donc célébrées. Représentées ici, dans cette oeuvre, comme celles qui au prix de leur vie ont aidé les rêves à se matérialiser. Et avec elles, tous les autres sacrifiés. Tous ceux qui nous permettent et nous ont permis de réaliser la chance qu’il y a de pouvoir vivre. Tous ceux qui jouent dans notre monde de dualité la pièce contraire et nécessaire à l’existence du beau, du bien, du juste, du paisible, de l’aimant, du merveilleux, du délicieux, du joyeux, du vivant.
Non, nous ne faisons pas un chantier « kerterre », nous vivons un acte de réconciliation, un réel acte commun de création. Une ébauche visible et concrète du rêve que nous portons pour le monde. Appuyés sur notre histoire, nous bâtissons avec les cadavres d’os et de sang de toutes les victimes un temple dédié à la paix et la reconnaissance. Un temple extérieur qui se verra/se sentira de loin pour marquer l’avènement d’un Homme ni victime, ni bourreau, mais créateur. Frère de tous les autres créateurs qui pullulent dans l’univers. Qu’ils soient animaux, végétaux, montagnes, pierres, atomes, poussières, étoiles. Un temple intérieur où nous recyclerons nos déchets de culpabilité et de regrets en immenses et magnifiques colonnes ouvragées. Assumant enfin notre place de passeur magicien.
Avec chaque acte posé en conscience, nous travaillons à la guérison de notre mère terre. A la guérison de notre père des étoiles. A la guérison de notre fils intérieur. A la guérison aussi de notre havre de paix, face à ce bout de montagne mâché par les machines et qui fera la base de notre oeuvre.
Que les oiseaux reviennent. Que les animaux reviennent. Que les insectes s’épanouissent. Que la pierre repousse. Que les arbres se déplient. Que l’eau chante son chant de joie. Que la nature reprenne sa splendeur. Que les Hommes deviennent Végéhommes. Que tous, par nos actes, sachent qu’ici, ils sont chez eux. Que tous sachent qu’ici, ils seront respectés comme des soeurs et frères. Pas forcément compris. Pas forcément mieux que si nous n’y étions pas, mais de tout notre coeur. Du mieux que nous le pouvons. Chaque jour, un peu mieux.
Donc, nous qui allons faire cela. Nous qui allons faire sortir de terre cette vision, cette demande, soyons dans chacun de nos gestes, dans chacun de nos souffles, de nos regards en lien avec cette histoire, en lien avec ce lieu. Pour pouvoir nous relier à tout, il faudra s’attacher au petit singulier. Qu’on entende chaque jour un peu plus les spectres des oies rire à nouveau à nos côtés.
Nous y déposerons nos morts, nos blessés, nos victimes. Nos regrets, nos erreurs… Qu’ils deviennent le temps de ce chantier nos plus beaux outils, nos plus belles pièces que nous offrirons à cette création.
Que cette « Oie-Terre » et son sang d’ocre nous pousse en nous-même et nous permette de nous bâtir à nouveau, plus grands, plus spacieux, plus serein, plus conscients de notre place unique, mais tellement plus entremêlée à tout autre que nous ne pourrons jamais le concevoir.
Prométhée, Oie sublime qui au prix de ton foie nous offrit le feu, nous te rendons aux étoiles et décidons ce jour de pourvoir seuls à nos besoins. Poursuivant le feu initiatique, étincelle intérieure qui porte en son sein toutes les lois de l’Infini Intelligent. Choisissant, sans peur, de donner notre propre foi en pâture aux aigles royaux. La douleur ne nous fait pas peur ! Doux Leurre !!!Ils pourront venir chaque jour. Encore et encore. Chaque jour de toutes les vies jusqu’à leur épuisement. Elle seule, la foi, ne connaît pas de limite. Et tout la nourrit ! Même la souffrance. Elle, l’Inextinguible. L’Incompressible. La Sans mesure. Sans début, sans fin. Qu’advienne son règne ! Et que vienne la paix. Du plus profond des entrailles, qu’elle s’en vienne et s’établisse enfin. Amen
P.S. Le Livret Kerterre est vendu par les éditions YpyP yP
Magnifique, quel œuvre pleine de sens, que cocreation sans jugement
Merci du soutien ! N’hésitez pas à passer et/ou à réserver une nuit dans la Oie Terre… Pour tous nos sacrifiés.